Affaire Benalla : "Tout le monde est entraîné dans une sarabande de dénonciations. Et tout cela n’est plus régulé par aucune de nos institutions. C’est un sujet pour tous les démocrates."

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Retrouvez ci-dessous l'interview que François Bayrou a accordée au Monde. Propos recueillis par Matthieu Goar.

Pensez-vous que cette affaire est « une tempête dans un verre d’eau », pour reprendre les mots de M. Macron, ou qu’elle est au contraire symptomatique d’une dérive du pouvoir ?

Il y a une disproportion surprenante entre les faits tels qu’ils apparaissent au fil des auditions et le maelström médiatique et politique que nous vivons. Quel est le point de départ ? Il y a eu sans aucun doute le 1er mai une faute individuelle de la part d’un collaborateur du président de la République, une organisation de l’Elysée qui n’était pas assez rigoureuse et un retard dans les sanctions à prendre. Mais cela n’en fait pas une affaire d’Etat. Les sanctions ont-elles été appropriées ? La directrice de l’Inspection générale de la police nationale et le directeur général de la police nationale ont attesté tous les deux de la justesse des décisions prises par l’Elysée, c’est-à-dire la suspension puis le licenciement ou le non-recours à l’article 40. Dès lors, quelle est la substance de cette polémique ?

 

M. Benalla a profité de sa proximité avec le président pour disposer de pouvoirs qui allaient au-delà de sa fonction, n’est-ce pas la preuve d’un excès du présidentialisme que vous dénonciez régulièrement par le passé ?

Je ne vois pas les pouvoirs que vous lui prêtez. La présence de M. Benalla à l’Elysée lui a ouvert beaucoup de portes. Pourquoi ? Dans l’inconscient monarchique français, l’Elysée est investi de pouvoirs d’autant plus fascinants qu’ils sont mystérieux. Une organisation plus rationnelle doit permettre de lever tous ces fantasmes et de mettre de l’équilibre dans la manière dont le travail de l’Elysée est compris. Mais le président doit pouvoir avoir des collaborateurs personnels. Et il est heureux que ces collaborateurs ne viennent pas forcément des grands corps de l’Etat et qu’ils puissent ne pas être de la même génération ni du même moule.

 

Lors de vos campagnes, vous avez souvent stigmatisé les avantages indus des dirigeants. Comprenez-vous les facilités matérielles dont disposait M. Benalla ?

Mais aucun des moyens mis à disposition ne l’était à titre personnel. Il s’agissait de moyens professionnels qui étaient liés à sa fonction puisqu’ils ont dans l’instant disparu avec elle.

 

Vous évoquez le maelström médiatique mais n’est-ce pas M. Macron le premier fautif ? En dissimulant les faits, en attendant les révélations de la presse pour se séparer de son collaborateur, n’a-t-il pas alimenté la défiance et le soupçon ?

La presse révèle ce qu’elle découvre. C’est une démarche civique. Mais la surenchère dans l’exploitation de ces révélations n’est plus maîtrisée. Nous sommes entrés dans l’ère du soupçon universel : n’importe qui, dans n’importe quel domaine de responsabilité, peut être mis en accusation, sans preuve et sans fondement. Les réseaux sociaux, les télévisions en continu, les fuites des enquêtes… Tout le monde est entraîné dans une sarabande de dénonciations. Et tout cela n’est plus régulé par aucune de nos institutions. C’est un sujet pour tous les démocrates.

 

S’il n’y a pas d’abus de pouvoir, selon vous, comment expliquez-vous alors la genèse de cette crise politique ?

D’abord, j’ai le sentiment que cette affaire a montré qu’il y avait des rivalités entre polices, ou à l’intérieur des différentes polices. Ensuite, il y a eu une instrumentalisation politique. Ceux qui exerçaient le monopole du pouvoir depuis des décennies essayent de déstabiliser le nouveau président. Pour eux, son élection n’est qu’un accident de l’histoire. Ils veulent revenir à la situation antérieure et pensent son élection fortuite. Ils se trompent. L’élection de 2017 a répondu à une attente profonde du pays qui voulait sortir de l’impuissance généralisée et changer le modèle français d’exercice du pouvoir au sein de l’Etat. Devant ce changement, il y a des résistances très fortes.

 

En 2009, dans votre livre « Abus de pouvoir » écrit contre Nicolas Sarkozy, vous affirmiez « qu’un peuple comme le nôtre, avec son histoire, avec sa profondeur, n’a surtout pas besoin de quelqu’un qui se croit un surhomme ». Quand on entend M. Macron dire « Qu’ils viennent me chercher », ne se place-t-il pas lui aussi dans la position du surhomme ?

C’est une formule que j’ai trouvée inutilement western. Je pense qu’il voulait dire « S’ils veulent s’en prendre à quelqu’un, qu’ils s’en prennent à moi, je ne me défausserai pas… » Quand je parle avec lui, je ne vois pas un homme tenté par l’ivresse de toute-puissance. Au contraire, il pense sa responsabilité devant l’Histoire en mesurant la difficulté de la tâche. Avec cette crise, il peut désormais vérifier chaque jour la dureté des résistances qui lui sont opposées.

 

N’est-il pas tenté par une forme de césarisme moderne ? Son souci permanent est de construire une relation directe avec les Français en critiquant les contre-pouvoirs comme la presse ou en diminuant les pouvoirs du Parlement…

La relation directe avec les Français est constitutive non seulement de la Ve République, mais de toutes les démocraties modernes. Le pouvoir doit être incarné, ou bien il disparaît. Cette relation directe est irremplaçable. Mais la reconnaissance des corps intermédiaires est un enjeu capital du quinquennat. J’ai été heureux de voir un nouveau climat s’établir lors de la rencontre avec les syndicats. De même, il est essentiel que soient levées les incompréhensions avec les élus locaux.

 

Pour sortir de cette crise, faut-il revoir les textes de la réforme des institutions ?

Ces dernières semaines, le débat institutionnel s’est enlisé au point de devenir illisible. Il faut reprendre tout cela sur des bases nouvelles. Nous avons besoin de réfléchir plus profondément à l’équilibre des pouvoirs, à la représentativité des assemblées parlementaires, à la garantie apportée aux libertés publiques ou encore à l’organisation des débats en temps de démocratie médiatique.

Exemple : aujourd’hui, dès lors qu’un texte se trouve bloqué par une opération de « flibuste » parlementaire, aucun autre texte ne peut être examiné et le Parlement se trouve paralysé. Il suffirait de créer les conditions pour que le Parlement puisse examiner plusieurs textes en même temps, et qu’en revanche tous les articles et tous les amendements soient rassemblés et soumis, une fois par semaine, au vote de tous les parlementaires. Dès lors, plus de blocages. Autre question : comment et à quel niveau garantir que tous les grands courants d’idées soient représentés au Parlement, au même titre que tous les territoires. Il me semble que ces sujets doivent être repris dans une réflexion préalable et sereine.

 

Avant la prise de parole de M. Macron, la majorité a semblé perdue. Est-ce que les macronistes sont mûrs pour traverser de tels moments ?

L’organisation de la majorité présidentielle n’est pas encore aboutie. Les deux organisations, La République en marche (LRM) et le MoDem, partagent beaucoup de convictions, mais n’ont ni la même tradition, ni le même socle doctrinal, ni la même pratique politique. Or, elles sont coresponsables de l’avenir, embarquées sur le même bateau. Il faut bâtir la charpente de ce bateau.

 

A l’aune de son exercice du pouvoir, vous arrive-t-il de regretter votre alliance avec M. Macron ?

Jamais. Il m’arrive d’être impatient, d’être exigeant. Je voudrais que soit plus affirmée la dimension sociale de ce quinquennat. Je voudrais que les Français perçoivent mieux les changements vraiment révolutionnaires comme la deuxième chance, l’idée qu’avant de sanctionner les gens ou les entreprises, on devra les avertir et les accompagner vers de meilleures pratiques. Idem pour le droit à l’expérimentation des collectivités. Autrement dit, la radicale nouveauté de la politique dont la France a besoin. Mais j’ai la certitude que nous vivons une époque cruciale, et que les orientations proposées, par exemple à l’éducation nationale, sont profondément justes. C’est pour cela que je suis mobilisé.

 

 

 

Retrouvez également cette interview sur le site du Monde

 


 

 

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